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5 mars 2007

AVIDA

Disons-le tout de suite, Avida ne ressemble à aucun long-métrage porté à l’écran ces derniers temps. On pourrait même dire qu’il est hors temps, et hors normes. N’y chercher donc pas une fiction construite sur une narration classique, Gustave de Kervern et Benoît Delépine puisent dans la libre-pensée du surréalisme pour construire une œuvre avant tout visuelle, proche d’une démarche expérimentale qui se veut également fantaisiste. Si on retrouve comme dans Aaltra leur faconde pour l’absurde et la dérision, des apparitions de personnalités décalées (Velvet, Albert Dupontel, Claude Chabrol) et un hommage à Aki Kaurismäki (scène avec Kati Outinen, sa comédienne fétiche), leur œuvre s’émancipe de tous les diktats classiques inféodés à la loi du marché et avance comme un électron libre que rien ne pourrait arrêter. Les plans se succèdent selon les règles instituées par les surréalistes dans les années 20 : associations d’idées et libre expression de l’imaginaire. Rompant avec tous les codes du montage frénétique, de la musique omnisciente, des scénarios à la chaîne, pas de rôles à durée déterminée mais des apparitions intérimaires, pas de couleurs léchées mais un noir et blanc granuleux, pas de colonne vertébrale scénaristique mais une succession de vignettes, à échelle humaine, car l’homme existe derrière le personnage, au contraire de certains formalistes qui ne peignent que des automates…Et gloire à leurs métaphores à l’instar de la scène où Benoît Delèpine et son comparse se tirent dessus à tour de rôle : incarnation de notre société où tout peut être montré et banalisé (omniscience de la télé dans les foyers et critique de la télé réalité qui va toujours plus loin).  Celle-ci est systématisée et automatisée, rien de nouveau, Platon en parlait déjà. Gustave Kervern (quelle gueule : un acteur à potentiel énorme) sort de La caverne et reproduit ce qu’il a vu défiler devant ses yeux toute sa vie. Hors à l’extérieur, il existe un monde iconoclaste dont on peut changer les codes (et bien les changer même ! ) en jouant au golf avec des chaises par exemple. Et exhument les cadavres exquis de Bunuel et à Dali auxquels ils rendent hommage à maintes reprises et nous invitent à un voyage à travers leur âge d’or. Ils ne guettent pas le bizarre, ils incarnent le bizarre. Ils ne veulent pas réinventer le surréalisme façon 2006, mais lui rendre hommage et à travers lui, marquer un propos social. Si Avida recèle encore de scènes drolatiques, Gus et Benoît s’affirment haut et fort comme des artistes qui captent les dysfonctionnements de l’existence, ne cherche pas à enluminer la réalité et l’exprime de manière radicale et poétique en confrontant le monde humain et le monde animal. Après le générique, le long-métrage s’achève sur cette citation du chef indien Seattle : " Ce qui arrive aux bêtes, arrivent à l’homme, toutes choses se tiennent ". A l’heure du cinéma subtil, les grolandais signent un non-film et agacent la critique. Trop " Porte-nawak " pour séduire l’élite, trop référencé pour convaincre le spectateur Lambda. Film foutraque ou délire de pochetrons pour certains journalistes, (à qui il faudrait rappeler que se poser en père la morale, ce n’est pas bien et que boire un petit coup n’a jamais fait de mal à personne)… on s’en tape les coconuts !  Avida ne participe pas d’une volonté de séduction, de racolage plutôt, du grand public, ni d’une tentative de répulsion d’ailleurs. Si faire du cinéma, c’est se faire plaisir, les artistes Grolandais ont pensé à eux et c’est tant mieux. Mais ils ne se regardent pas le nombril et gardent l’homme au centre de leur préoccupation, nos préoccupations, donc. Vrai désir de création et de prendre le cinéma à rebrousse-poil. A l’heure où être " anti ", c’est combattre avec les mêmes arguments qu’être " pro ", GK et BD abandonnent le débat en place publique et vont explorer d’autres contrées librement et ce vent libertaire souffle comme un bol d’air frais. " Les biens superflus rendent la vie superflue " disait Pasolini, vision que GK et BD pourraient faire leur (d’ailleurs l’homme enterré et les plans sur la montagne noire rappellent Bunuel mais aussi Théorème et l’évangile selon St Matthieu). " La vérité n'est pas dans un seul rêve, mais dans beaucoup de rêves " expliquait aussi Pasolini qui colle parfaitement encore une fois à Avida.  Les deux Grolandais se créent, peu à peu, un style. Derrières leurs costumes de pamphlétaires du petit écran, ils livrent sur la pellicule une vision désenchantée du monde où le rire affleure. Groland serait donc bien un pays de cocagne où le talent pousserait à l’état brut et engendrerait des objets filmiques non identifiés dans lesquels il ferait bon pénétrer, histoire de se changer les idées !

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